Écriture créative sur un concept : le binôme du lisse et du strié

Lequel était le strié, lequel était le lisse ?

En apparence, Guattari agissant sur le terrain, étant dans le système, était le strié qui se confrontait au lisse en rapportant à Deleuze des éléments du strié pour confronter et réorganiser le lisse.

Guattari, le psychothérapeute autodidacte, engagé politiquement contre la psychiatrie, était-il vraiment le strié ? Probablement pas, chacun étant un élément hétérogène venant mettre au défi les structures par l’action, les mots, la pensée.

Deleuze liait et organisait les notes, gribouillis et écrits de Guattari, d’une écriture libérée, voire délibérée, construisant ce faisant le strié, celui de l’organisation.

Pourtant leurs écrits communs sont-ils de l’ordre du strié?

On peut en douter, on peut percevoir le tout issu d’un espace lisse où les schèmes et concepts connus sont bousculés, deviennent touffus, à peine ordonnés pour être lus.

Ils vivaient donc dans des mondes différents, des univers que leur union philosophique maintenait en tension, en les faisant se confronter, dans leur mise en mots par Deleuze.

Le concept du lisse et du strié est l’expression la plus dynamique, la plus vivante de ce qui garde le monde actuel en mouvement, en évolution, toujours confronté au changement.

Les espaces du lisse et du strié respectivement nomade et sédentaire, sont à la fois en opposition, à la fois complémentaires.

Ils n’existent que par leur mélange constant, leurs bordures qui se rencontrent, générant un frottement, créant le conflit. Là, où comme disait Deleuze, « se développe la machine de guerre et l’espace institué par l’état ».

Et l’on sait que la machine de guerre fonctionne aussi en opposition, en deux pôles, en binômes composés de clair et d’obscur, de violent de calme ou encore plus prosaïquement de despote/législateur face à un lieur/organisateur…

Encore ici, un couple, parfois antithétique, parfois complémentaire, mais toujours indissociable dans l’absence qui marque la présence comme dans la présence qui se bute à son opposé.

Exprimant leur association, leur binôme dans ce concept, c’est aussi un prisme à travers lequel voir les binômes qui gardent le monde actuel sous perpétuelle tension.

BINOME 1 – sécurité et défi à la sécurité

Chaque sphère de la vie sociale est un écosystème agité par les éléments opposés qui s’y retrouvent rapprochés, maintenant leur opposition, ils s’érodent, se gardent en équilibre dans une tension constante.

Le lisse, comme le sable de ce désert auquel Deleuze le compare, le strié comme l’organisation complexe du tissu des fonctions de préservation de la société, de l’État et de ses pouvoirs.

La plus rigide composante de l’État est très certainement celle liée à la sécurité ou à la machine de guerre comme l’appelle Deleuze. Un tissu complexe de règlements, de rouages, de paliers hiérarchiques qui, ensemble, constituent un enchevêtrement solide, fait pour se confronter à un agencement de même nature.

Puis, devant cette articulation qui tient sa force de ses ramifications serrées, des électrons libres. Des grains de sable issus d’un désert qui veut gagner du terrain, avancer sur le strié, lui faire sentir sa présence. Grains de sable peut-être, mais forts de leur singularité et agiles de par leurs liens souples entre eux.

La force du grain de sable est de sans prévenir venir enrayer cet engrenage, vulnérable devant l’irrationnel.

Le terrorisme.

Comme un désert, composé de grains de sable, tous capables d’agir seuls ou en petites poignées, déliées, jetées aux yeux du colosse de l’État.

Une étendue hétérogène, insaisissable, qui confronte le strié, l’investit, un grain à la fois, sans parfois même que la machine de guerre, celle du strié en soit d’abord consciente, habituée qu’elle est à une menace organisée, annoncée comme aux intentions politiques, aux dictats territoriaux connus.

Survient alors une déterritorialisation du conflit, un déplacement de la notion d’ennemi.

Il est maintenant singularisé, tout en faisant partie d’un ensemble plus grand, un ensemble fluide, flottant, uni par des mots, des idées, mais sans pour autant identifier la bannière d’un État.

Ainsi, le lisse, non conquis, non clairement nommé, qui surgit de partout aux limites du strié, toujours prêt à tout pour ouvrir une brèche dans le tissu serré du strié.

Binôme 3 – le piratage comme défi posé à l’État

Cet État qui organise, régit et punit pour faire connaître son autorité à travers ses structures d’autorité, n’aime pas être mis au défi par des grains de sable, des éléments non organisés, surgissant du lisse pour remettre en question ses lois et règlements.

Le pirate en action

Celui qui agit en réaction au resserrement constant du tissu du strié, réduisant les espaces citoyens de liberté, décidant de ce qui doit être, selon un cadre légal, un État souverain.

Le pirate dans un acte délibéré contre la loi, prend ce qui avait été marqué, estampillé, comme un bien commercial, une propriété.

Grâce à sa structure flexible et son réseau fluctuant, il est plus rapide à agir que la machine de l’État, prise dans la cote de mailles que créent ses niveaux de hiérarchie, engoncée dans l’interprétation des lois successives qu’elle a enfanté.

Et la machine de l’État, quoiqu’elle en dise, a besoin de ce rappel, a besoin que son tissu rigide soit soumis à la perforation des électrons libre qui viennent ainsi faire quelques déchirures dans sa toile, par lesquelles, parfois, la lumière surgit…

Le lisse toujours aux bordures du strié, se mêlant à ses structures, les mettant à l’épreuve, chacun donnant à l’autre sa raison d’exister. Le strié continue d’avancer dans sa codification des espaces Web, le lisse en perpétuel mouvement, refusant l’organisation, créant devant lui de nouveaux espaces virtuels à investir.

Ce lisse, qui pourtant n’a rien d’homogène, comme ces groupes informels qui le peuplent, qui n’existent comme groupe que sur le Web, reliés par des liens hétérogènes par des connexions dans des espaces anonymes, où l’on peut exercer sa liberté d’expression sans peur de la répression.

4Chan et Reddit comme espaces lisses, faute d’espace public pour la discussion, c’est ce qu’il reste aux pirates. Cela et peut-être le Dark Web, espace lisse par excellence, dont le seul nom fait trembler l’État.

Quand la machine étatique aura harnaché un peu plus ces derniers espaces lisses, les pirates, dans un processus constant de co-construction iront créer et coloniser d’autres espaces d’où mettre au défi la main de fer de l’État.

Dans chaque binôme, chaque confrontation politique se retrouve des éléments du lisse et du strié, des éléments qui se confrontant s’appuient l’un sur l’autre, trouvant leur devenir, traçant ainsi leur voie.

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