Récit performatif d’une autoethnographie : «Pityriasis rosé», vidéo

Pityriasis Rosé from Frederick Maheux on Vimeo.

Lorsque que j’ai décidé de traiter pour l’exercice d’autoethnographie de mon expérience le 11 septembre 2001 à New York, il m’est apparu important de distinguer les entrevues médiatiques que j’accorde parfois à la date de l’événement au sujet du déroulement de cette journée, de ma démarche autoethnographique. Cette version de mon expérience étant réservée à un petit groupe de praticiens du domaine des arts, de la communication théorique et sociale, il me semblait normal de saisir cette occasion pour parler d’un aspect que je n’ai jamais abordé avec les médias. J’ai donc choisi de faire un récit, impressionniste, subjectif, mais quand même organisé sur une série de faits, des semaines qui ont suivi mon retour de New York et comment j’ai pris connaissance que je souffrais d’un choc post-traumatique.

Revisiter le cours des événements d’un autre angle

La partie que je n’ai jamais révélé aux médias, même quand on m’a demandé d’en parler, c’est le processus par lequel des professionnels de la santé ont posé le diagnostic de syndrome de choc post-traumatique et quelles en ont été les premières manifestation. J’ai évité d’en parler pour deux raisons qui me paraissent aujourd’hui encore plus pertinentes : soit pour préserver ma vie privée et pour ne pas qu’on applique mon diagnostic à d’autres victimes d’un traumatisme en faisait l’adéquation simpliste « si elle a vécu ça et que l’autre a vécu ça, donc les deux sont traumatisés ».

Pour le présent exercice, je me suis donc reportée en septembre 2001, alors que les symptômes physiques de ce trouble de l’adaptation se sont manifestés. Je suis retournée dans mon dossier de suivis médicaux, où était la copie du premier diagnostic, celui du psychiatre Robert Duguay. Des souvenirs différents me sont alors revenus, que j’ai commencé à noter pour créer une autoethnographie qui ne tomberait pas dans les clichés que les médias veulent généralement discuter – comment j’ai échappé à la mort ? que faisaient les gens pris dans les tours ? etc. – pour créer un effet spectaculaire.

Choisir un « rendu performatif »

Depuis quelques années, je fais aussi des performances de type « slam » dans des galeries d’arts et des événements culturels, or j’avais envie de créer mon ethnographie de la même façon que je crée ces performances. Dans le cas présent, j’ai testé avec mon partenaire la caméra Kinect (une caméra tirée du système de jeu du même nom) branchée à un logiciel qui modifiait l’image pour créer un effet de fragmentation. Cet effet, comme l’ont remarqué certains collègues en classe, exprimait ce morcellement des affects qui a suivi le choc et la reconstruction constante des événements dans mon esprit pour y trouver un sens.

Pour le son, j’ai voulu ajouter une trame drone, un style musical que j’aime et apprécie dans ses versions plus complexes, qui est utilisé en fonds pour des créations théâtrales ou performatives. Ce son très urbain, que l’on compare à un vrombissement, fait vibrer les chairs du public quand il est diffusé très fort. Il me sied bien et me paraissait pertinent pour encadrer mes propos.

Créer un texte avec un suspense et une ambiance qui l’amplifie

Le concept de mon autoethnographie portait sur la découverte : je voulais amener l’auditeur avec moi à découvrir, étape par étape, les fragments d’information significatifs qui ont conduit à un diagnostic de choc post-traumatique. Puis, une seconde découverte devait arriver pour le public, c’est-à-dire la révélation que cet événement traumatique était ce « marqueur » de notre histoire nord-américaine, soit le 11 septembre 2001.

J’ai donc construit mon texte en partant de l’apparition d’une maladie de peau peu courante à mon retour d’un séjour de travail aux Etats-Unis. Comme moi, qui ne savais pas pourquoi le médecin était surpris des symptômes que je présentais, je voulais semer des indices pendant la première minute et ensuite dévoiler graduellement à quoi ils se rapportaient.

Puis j’ai abordé les manifestations psychiques du trouble : soit les pertes de mémoire, les rêves où les événements sont recréés par transfert, les souvenirs qui reviennent par à-coup dans des moments inopportuns.

J’ai finalement conclu sur le sens à donner à l’expérience d’une pareille tragédie dans mon vécu. J’ai moi-même compris des années plus tard que cet événement aurait dans ma vie le sens que je déciderais de lui donner. Si je n’ai pas osé aborder ce point, c’est en discutant hors-caméra avec Josélito Michaud[1] que je l’ai compris. De la même façon, cet exercice d’autoethnographie en étant réalisé dans le cadre d’un cours et performé devant un très petit groupe est venu confirmer une autre emprise personnelle sur ma participation à ce que j’aime appeler « cet événement trop grand pour moi » : aussi gigantesque que cet attentat terroriste en sol américain puisse être, j’en fais partie comme des milliers d’Américains, mais surtout, il fait partie de moi, de ce que je suis devenue depuis.

[1] À la fin septembre 2011, j’ai participé à l’enregistrement de l’émission « On prend toujours un train », animé par Josélito Michaud. Cet épisode a été diffusé en septembre 2012. Je relate une partie de la réflexion qui a suivi cette aventure sur mon blogue, dans un billet intitulé La peur de dire et de refuser l’inexcusable : http://www.cheznadia.com/archives/2012/02/la-peur-de-dire-et-de-refuser-linexcusable.html

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