L’année 2016 commence avec un changement de taille, la fin du papier pour le quotidien La Presse. Cela dans un contexte ou Quebecor délaisse son mur payant, Le Devoir cherche à bonifier son offre numérique et où les médias américains ont déjà modifiés leurs modèles depuis quelques années déjà. Il suffit de consulter le site du New York Times ou de PBS pour le constater, mais ici au Nord, le changement se fait plus lentement. Nous pourrions blâmer la lente progression d’Internet et fort probablement celle du mobile entravée par l’emprise de quelques compagnies sur ces services. Plusieurs questions me sont venues en fin d’année, dont celle de l’accès à l’information. Et si ces changements créaient un clivage entre ceux qui s’informent par le Net et des applications comme La Presse + et ceux qui par défaut n’auront plus accès qu’aux médias papier et aux chaînes télé diffusées dans les lieux publics ?
L’information comme bien collectif
Lors d’une table ronde sur le pluralisme des médias à l’ère de Google et Facebook, tenue le 18 décembre à l’UQAM, ma collègue au doctorat, Anne-Marie Brunelle, affirmait avec justesse que l’information est un bien collectif, mais dont la gestion a été remise aux entreprises privées. Cette conversation sur le pluralisme des médias arrivait juste tout juste une semaine après la vague qu’avait soulevée la révélation de David Desjardins, qui tout en maintenant un statut de journaliste chroniqueur au Devoir et une carte de la FPJQ, avait lancé son entreprise de marketing de contenus. Faut-il le dire, mais la sous-rémunération des pigistes, qui pourtant sont de plus en plus présents dans les médias, fait aussi partie des problèmes liés à ce pluralisme de l’information.
Quand Facebook devient éditeur de vos contenus
Qu’est-ce que nous partageons outre nos états d’âmes sur les réseaux sociaux? Des articles des médias. Brian Myles a abordé la question de Facebook Instant Articles, ce qui était très pertinent, surtout dans le contexte où Quebecor venait de signer une entente avec le géant des médias sociaux, entente dont les détails ne sont pas connus. Myles faisait remarquer qu’en acceptant de loger les contenus de ses publications sur les serveurs de Facebook, en échange on le présume d’un pourcentage des revenus publicitaires, on déléguait la tâche éditoriale à Facebook. Et nous d’ajouter, à ses algorithmes.
Or, selon la philosophie de la gestion des contenus que j’ai connu jusqu’à maintenant, il importait de préserver la propriété de ses contenus en les hébergeant sur son site et ses serveurs. En ce sens, héberger ses contenus ailleurs en échange de revenus revient ni plus ni moins que se livrer à du marketing de contenus. C’est-à-dire que l’on accepte implicitement que ses contenus soient utilisés pour promouvoir des produits ou services, par une association fort probable de mots-clés et de taxonomie web. Cela contrevient aux principes qui étaient en usage dans les quotidiens jusqu’à tout récemment et que Myles qualifiait « de mariage de raison entre la presse libérale et la publicité ». La raison dans l’édition algorithmique ne connaît qu’une expression, celle des revenus.
L’information et l’influence des réseaux sociaux
Plusieurs des participants, dont Simon Van Vliet et Lise Millette, ont mentionné cette tendance croissante des médias à privilégier l’embauche de « vedettes » pour commenter l’actualité ou tenir une chronique plutôt que de journalistes expérimentés. Je n’ai pu alors résister à l’envie de demander aux participants comment ils considéraient dans ce contexte l’obligation qu’ont maintenant les journalistes de certains médias de promouvoir leurs propres contenus sur les réseaux sociaux, comme le faisaient avant pour eux les relationnistes des organisations médiatiques ou des agences représentants des intérêts. Je voulais en présentant ce fait souligner qu’une présence remarquable sur les réseaux sociaux n’est pas toujours un gage de pertinence ou de professionnalisme, ce qui n’empêche pas ce critère de jouer, de tout évidence, sur le choix des collaborateurs de certains médias ou émissions télé ou radio.
Fascination et crainte de la technologie dans les hautes sphères
Ce matin, je lisais cet article, Le Québec Inc craint a technologie, rien de nouveau, mais faire face à ses peurs est le meilleur chemin pour en guérir. En fait, je crois que dans les hautes sphères décisionnelles des médias de masse, là où personne ne twitte ou utilise Instagram, là où les réseaux socionumériques sont un buzzword lu au hasard des articles de Forbes, ces réseaux jettent tant de poudre aux yeux, que cela brouille la vision périphérique. Enfin, je réserve ce genre de questions à mes propres réflexions, car cela demanderait en soi une analyse du discours de la gouvernance et une connaissance approfondie des outils socionumériques. Cependant, si le virage se fait péniblement, il demeure qu’il se fait par coup avec les contre-coups que cela suppose.
Le schisme entre les sources d’information à l’ère du numérique
Selon le chiffres du CEFRIO près de 50 % des adultes québécois ont une tablette numérique, aux Etats-Unis, le Pew Research Center allait plus loin dans l’analyse et précisait que les détenteurs de tablette de numérique étaient plus scolarisés (soit un bac ou au des cours de niveau collégial) et plus jeunes (sous la barre des 50 ans pour la plus grande partie). Je me suis donc demandée si l’accès à l’information, déjà que l’abandon du service analogique a privé plusieurs personnes moins favorisées (âge, ressources financières ou littéracie médiatique) de la télé câblée, allait se scinder plus encore entre ceux qui peuvent consulter des applications d’information et ceux qui naviguent péniblement sur le Web, cantonnés aux actualités relayées par Facebook (donc une information souvent biaisée) et aux journaux papiers. Et mon humble avis est que ce sujet méritera d’être suivi de près, tout comme ses conséquences sur la société québécoise pour les prochaines années.
Références:
Table-ronde / débat et cocktail à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Concentration des médias, changements technologiques et pluralisme de l’information paru aux Presses de l’Université Laval (sous la direction d’Éric George, avec la collaboration d’Anne-Marie Brunelle et de Renaud Carbasse).
- Éric GEORGE (professeur, École des médias, UQAM) qui accueillera :
- Anne-Marie BRUNELLE, étudiante, programme de doctorat en communication, UQAM, ancienne éditrice de Recto-Verso
- Renaud CARBASSE, professeur, département d’information et de communication, Université Laval et étudiant, programme de doctorat en communication, UQAM
- Chantal FRANCOEUR, professeure, École des médias, UQAM, ancienne journaliste à Radio-Canada
- Lise MILLETTE, journaliste à l’agence QMI, présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)
- Brian MYLES, professeur, École des médias, UQAM, ancien président de la FPJQ
- Simon VAN VLIET, journaliste et président de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ)
Bonjour Nadia,
Intéressante réflexion sur la littératie numérique et médiatique.
La fracture de l »accès et des usages numériques.
C’est en lien direct avec l’enjeu majeur de la gouvernance des données.
Nous voyons des défis majeurs dans le domaine de la santé au niveau du dossier patient électronique. À qui appartiennent les données, qui peut les consulter, les aménager, les détruire, etc. Le médecin, le patient, un fonctionnaire, un agent d’une entreprise privée? Qui design ces systèmes sociotechniques, les financent et les contrôlent ?
Bref, 2016 sera celle de la gouvernance des données.
Geoffroi
Effectivement, au-delà de la notion d’information dans les médias, il y a aussi la question des données, surtout dans un contexte de journalisme de données. Donc, partout l’enjeu des données, comme source primaire de l’information se posera.