L’industrie culturelle : Ardono, Horkheimer et les emprises récentes

Horkheimer et Adorno, photo de Jeremy Shapiro

Horkheimer et Adorno, photo de Jeremy Shapiro

Le texte d’Adorno et Horkheimer, The Culture Enlightment as Mass deception servait de fondement pour cette réflexion sur ce qu’on appelle maintenant l’industrie culturelle, car de fait les formes de productions artistiques qui s’y inscrivent participent à une forme forme d’économie dans laquelle diront les auteurs « la culture appose le même sceau sur tous ses produits » (traduction de : for culture now impresses the same stamp on everything). Il est donc question de l’uniformisation de la culture, mais aussi de son cycle de consommation qui s’accélère toujours plus.

Dans plusieurs passages de ce texte, nous n’avons pu nous empêcher de penser à l’essai de Clement Greenberg, Avant-garde and Kitsh (1939), contemporain d’Adorno et Hokheimer surtout ici : « Movies and radio need no longer pretend to be art. The truth that they are just business is made into an ideology in order to justify the rubbish they deliberately produce. They call themselves industries; and when their directors’ incomes are published, any doubt about the social utility of the finished products is removed. » Greenberg retraçant l’histoire des arts en tentant d’expliquer la cohabitation d’œuvres très différentes, les unes faites pour être consommer par une masse, les autres semblant être destinées à des « connaisseurs » parlait d’art highbrow ou lowbrow.

Ainsi, on pourrait dire que le lowbrow ou mediumbrow, correspond à cette explication que reproduise Adorno et Horkheimer : « It is alleged that because millions participate in it, certain reproduction processes are necessary that inevitably require identical needs in innumerable places to be satisfied with identical goods. » Donc, pour permettre à tous d’accéder également aux produits, il faut les reproduire en grand nombre, donc les investissements iront vers les produits qui satisferont le plus large public. Ensuite, on dira que ces produits sont choisis pour répondre à la demande des « consommateurs ». Un argument que les auteurs ramènent à rien de plus que « no more than hot air ».

« There is nothing left for the consumer to classify. Producers have done it for him », ce qui ne peut que nous rapprocher du concept très actuel des systèmes de recommandation qui se répandent pour aider les consommateur, mais qui en fait occulte une partie de la production culturelle considérée comme moins « populaire ».

Dans ce contexte, « The conoisseur and the expert are despised for their pretentious claim to know better than the others, even though culture is democratic and distributes its privileges to all. » Et bien évidemment, selon les auteurs, dans cette logique du consommateur conformiste et du producteur-vendeur, la reproduction constante des mêmes œuvres est inévitable.

Mattelart et Piemme diront que dans cette vision d’Adorno et Horkheimer l’industrie culturelle devient l’exemple même de la dissolution de la culture dans le commerce. Et tout comme les questionnements de Greenberg devançaient ceux des deux philosophes de quelques années, Mattelart et Piemme rappellent que L’œuvre d’art à l’ère de la reproductibilité technique de Walter Benjamin était en sorte une anticipation des mêmes préoccupations, mais chez Adorno et Horkheinmer, on retrouvera une « stigmatisation » de la culture de masse redevable aux moyens de productions modernes.

En fait, Mattelart et Piemme remettent en question l’irréversible de cette démocratisation des produits culturels, puisque la démocratie elle-même n’est pas un phénomène absolu et hors de l’histoire. En décentralisant les pouvoirs, les communautés locales gagnent en autorité, les entreprises non gouvernementales peuvent agir avec plus de latitude. La domination d’un État monolithique et totalitaire que craignaient Adorno et Horkheimer, n’a pas peut-être pas été remplacé par un état neutre idéal, mais rien n’est statique.

Les industries culturelles font partie d’un système, posent Mattelart et Piemme, un système à l’intérieur du système et sont constituées d’une série de canaux non-hiérarchiques, certains au centre, d’autres en périphérie et le destin de tous est fortement influencé par les changements en cours. Le monde de la publicité, qui sera bientôt entièrement absorbé par celui des technologies, fait partie des industries culturelles sans toujours y figurer comme tel. Mais, de conclure les deux auteurs, l’acceptation du concept d’industrie culturelle proposé par Adorno et Horkheimer a permis de grandes avancées dans le travail critique sur le pouvoir des communications.

Les autres textes viennent confirmer l’importance du concept d’industrie culturelle décrit par Adorno et Horkheimer, mais aussi la fluctuation des marchés et des canaux par lesquels se matérialisent cette industrie tel que l’ont précisé Mattelart et Piemme. Ainsi, dans le texte de 2009, de Joyce, Vapor Music. Culture Machine, l’auteur avance l’idée que le CD, à titre d’objet de collection, est toujours acheté et semble présumer qu’il en sera ainsi encore un certain temps. Déjà moins de cinq années plus tard, les deux secteurs qui continuaient de croître dans le marché de la musique étaient d’une part, oui l’objet matériel, mais qui n’est plus le CD, mais l’objet encore plus distinctif qu’est devenu le vinyle et cela en cohabitation avec la consommation de la musique en continu (streaming).

Ce changement de paradigme dans la consommation musicale se sentait déjà dans le texte de 2011, paru dans Bloomberg sous la plume Greely et qui présentait Daniel Elk, créateur de Spotify comme le dernier espoir de la monétisation de la musique.

Jenkins, dans Convergence Culture, rappelle que la roue des médias de masse et son cycle accéléré de consommation s’insère aussi dans les nouveaux médias et technologies.

Cours 5 – L’industrie culturelle

Horkheimer, M., & Adorno, T. W.  Dialectique de la Raison / Dialectic of Enlightenment
Chapter 4, The Culture Industry: Enlightenment as Mass Deception
Mattelart, Armand.  “Cultural Industries: The Origin of an Idea,” in Creative Industries: A Challenge for the Future. UNESCO. http://unesdoc.unesco.org/images/0004/000499/049972eo.pdf
Don Joyce, N. (2009). Vapor Music. Culture Machine, 10. Retrieved from http://www.culturemachine.net/index.php/cm/article/viewArticle/348
Jenkins, H. (2006). Convergence Culture: Where Old and New Media Collide. New York: New York University Press. Introduction, http://nyupress.org/books/9780814742952/
Lobato, R., & Thomas, J. (2015). The Informal Media Economy. Cambridge, UK: Polity. Chapter 1
Greeley, B. (2011, July 13). Daniel Ek’s Spotify: Music’s Last Best Hope. Retrieved July 24, 2015, from http://www.bloomberg.com/bw/magazine/daniel-eks-spotify-musics-last-best-hope-07142011.html

Mason, M. (2008). The Pirate’s Dilemma: How Youth Culture is Reinventing Capitalism. New York: Free Press. Introduction, Chapter 1 and Outroduction http://www.loc.gov/catdir/toc/ecip0720/2007023530.html [to add]

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